REPORTAGE. L’île de Samos, située à une dizaine de kilomètres des côtes turques, représente un rêve que de nombreux réfugiés espèrent un jour toucher du doigt. Pourtant, le paradis imaginé est souvent synonyme d’espoirs brisés à l’arrivée.
« La mer est bleue. Et les vagues, elles chantent. » Alors que les pêcheurs habituels s’ennuient sur le quai et que quelques touristes s’en amusent, entourés par les mouettes curieuses, Ahmed continue d’expliquer pourquoi le port demeure son endroit préféré sur l’île de Samos. « Quand on vient ici, on oublie presque le reste », dit-il en souriant.
Le « reste», Ahmed est bien placé pour en parler. Il est en effet l’un des 7943 réfugiés qui se trouvent actuellement sur le camp de Samos. Le jeune homme de 23 ans a fui la Syrie en 2017 pour se réfugier ici, espérant que son avenir serait meilleur en Europe. Mais Ahmed s’avoue déçu : « Je ne pensais pas que ce serait facile, mais je pensais y arriver. Ça fait un 1 an et demi que je suis en Grèce, coincé dans des conditions horribles sans savoir ce qu’il va arriver, et pour la première fois, je perds espoir ».
Un camp surpeuplé à la situation sanitaire inhumaine
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi Ahmed « perd espoir » lorsqu’on arrive au camp. L’homme pointe quatre murs recouverts de barbelés qui font étrangement penser à une prison à ciel ouvert : « Ça c’est le vrai camp. Il doit y avoir 600, 700 personnes dedans. Il était déjà complet depuis longtemps quand je suis arrivé.» En effet, 648 personnes sont actuellement logées à l’intérieur du camp officiel. Celui-ci n’est autre qu’une ancienne base militaire transformée en hotspot – un camp servant à contrôler l’afflux d’arrivants à la frontière greco-turque.
Mais qu’en est-il des 7300 autres migrants ? « On dort dans un camp de fortune, une jungle créée dans l’urgence, sans rien », dit Ahmed tout en ouvrant la voie. Nous découvrons à flanc de colline des centaines de tentes qui tantôt s’entassent, tantôt s’envolent au gré du vent. Les habitations sont pour le moins vétustes, faites d’objets trouvés et de tissus échangés entre les familles.
Chacun essaye désespérément de ne pas glisser sur les piles de déchets qui s’accumulent, alors que l’odeur se fait difficilement soutenable. « Ce n’est pas humain », confirme Ahmed. « On dirait qu’on est sale, mais c’est parce qu’il n’y a rien pour se laver. Rien pour entretenir. Donc on vit dans la crasse, comme les animaux ». L’absence de système de déchets n’est pas le seul problème : ici, il n’y a pas assez de douches, pas assez de toilettes, pas moyens de laver ses propres vêtements.
Au détour d’une conversation, le seul docteur du camp connu sous le nom de Manos confirme la gravité de la situation sanitaire à la fois au sein du camp et dans la jungle : « Cela ne relève plus du confort ou même de la dignité humaine, c’est désormais une urgence sanitaire qui porte atteinte à la sécurité des réfugiés et des habitants de Samos. La situation hygiénique déplorable attire toute sorte de bête, on reçoit des personnes avec des morsures de serpents ou de rats qui ont peur d’être infectées ». On apprendra plus tard que les matelas du camp et de la jungle sont également infectés par des puces de lit et divers insectes, tels que des scorpions qui prolifèrent sur les hauteurs de la colline.
Des conditions de vie préoccupantes
Et plus l’on monte sur cette colline, plus le tableau se noircit. Nous rencontrons dès lors Hashim, homme de 34 ans venu d’Irak. Selon lui, l’hygiène n’est qu’un problème de plus, qui s’accompagne d’une montagne de difficultés cachées. Alors qu’il essaye tant bien que mal de caler sa tente avec quelques clous trouvés plus bas pour se protéger des intempéries, il conclut : « Ce n’est pas facile de survivre tous les jours, parce que l’île n’est pas prévue pour 7000 personnes de plus. Il faut faire la queue pour voir un docteur. Faire la queue pour avoir à manger, pour prendre une douche. Faire la queue pour régler les soucis avec l’administration. La vie à Samos se résume à ça : survivre en faisant la queue dans la boue, dans le froid, dans la maladie et dans la faim ».
Les réfugiés qui espéraient donc trouver la stabilité en Grèce ont rapidement déchanté face à ces conditions d’accueil. Cela entraine régulièrement des tensions inquiétantes au sein du camp. Les migrants font face aux violences morales, physiques et même sexuelles. Les insultes, les bagarres et les agressions sont ici monnaie courante. « C’est pourtant ce que l’on tentait de fuir», avoue Ahmed à demi-mot. «À croire qu’on n’arrivera jamais à y échapper, en Syrie ou en Grèce ».
Une perte d’espoir
Et c’est précisément ce sentiment d’impuissance et de lassitude qui semble envahir le camp, l’idée « qu’on n’arrivera jamais à y échapper ». Les réfugiés qui viennent avec l’espoir d’une vie meilleure sont régulièrement déconcertés lorsqu’ils arrivent à Samos et réalisent qu’ils sont bloqués au camp dans ces conditions. « On nous disait au Congo que l’Europe était civilisée, que c’était le paradis des droit de l’Homme. Mais ici il n’y a que la honte, les droits de l’Homme je ne les vois nulle part » nous confie Ange, homme de 24 ans arrivé en Grèce en juin 2018.
L’attente ronge les esprits. Depuis les accords passés avec la Turquie en 2016, les réfugiés sont bloqués indéfiniment sur l’île. Ils doivent constituer un dossier, passer un entretien. Puis attendre une réponse qui décidera de leur sort. Ils doivent alors rester au camp, dans l’attente d’informations et surtout dans l’incertitude, pendant plusieurs mois voire pendant plusieurs années. Plus que les traumatismes du passé et les conditions du présent, c’est l’absence de futur qui mène la plupart des réfugiés à perdre toute perspective d’avenir.
Pour Alexandre, volontaire italien de 32 ans sur l’île depuis un an, cette désillusion collective est une véritable aubaine pour l’Europe. « Ce n’est pas qu’un manque de moyens et d’organisation, c’est un but recherché par le pays tout entier. Chaque réfugié épuisé est un réfugié qui avertit sa famille restée derrière, qui va dissuader les autres ».
Mais il est impossible de dire si cette pseudo stratégie marchera réellement : « On ne quitte pas son pays par plaisir, si les gens décident de partir, c’est qu’ils ont une raison. On ne les dissuadera pas si facilement », affirme Hashim. « Alors oui, c’est dur, on fait la queue dans la boue. Mais c’est toujours mieux qu’avant, on se rapproche du but ».