Pétra est redevenue une ville fantôme. Le million de touristes qui foule son sable rouge chaque année s’est volatilisé et seuls ses esprits mythiques continuent de frôler ses murs aux reflets roses. Les bédouins sont à nouveau seuls dans la cité légendaire, eux qui avaient tenu à la garder secrète pendant des siècles.
Seuls les braiments des ânes retentissent désormais contre les parois du Siq, le défilé de 1 200 mètres creusé dans la roche qui mène au coeur de la cité. Quelques enfants jouent encore sur la roche, vieille de 2 000 ans, profitant visiblement du calme inhabituel des lieux. Ils s’étonnent à la vue d’un petit groupe de touristes européens : depuis la fermeture de l’aéroport Queen Alia en mars 2020, les visiteurs étrangers se font rares.
Les tentes traditionnelles en poils de chameaux, qui abritent d’habitude de petites échoppes de souvenirs locaux, sont désormais désertes. Les magnets, les colliers, les cartes postales sont toujours étalés sur le sable brûlant, comme si leur propriétaires allaient revenir d’une minute à l’autre. Seuls quelques bédouins sont toujours présents sur les hauteurs de la ville, en direction du Monastère. « Nous vivons uniquement du tourisme, comme la plupart des gens ici », témoigne Salwa, une mère de famille qui craint pour l’avenir de ses cinq enfants. « D’habitude, des centaines de touristes venus du monde entier passent par ce sentier, s’arrêtent boire un thé, repartent avec un Keffieh, l’écharpe traditionnelle jordanienne. Mais aujourd’hui, on n’a plus de revenus fixes. »
« On perd espoir »
Il suffit de se rendre à Wadi Musa, la ville adjacente à Pétra, pour mesurer les effets dévastateurs de la crise. Les restaurants de la ville n’ont pas été forcés à fermer, mais n’ont que très peu de raisons de rester ouverts. Seuls quelques serveurs occupent les terrasses, réunis autour d’un thé à la menthe et d’une partie de backgammon, visiblement lassés d’attendre des touristes qui n’arrivent plus. L’un d’entre eux confie : « Je suis fatigué de ne rien faire, d’attendre quelque chose qui ne vient pas. On perd espoir. »
L’écosystème de la ville toute entière a été entièrement transformé en quelques jours, un bouleversement que beaucoup peinent à croire : « On nous dit qu’un virus inconnu est arrivé de l’autre bout du monde et du jour au lendemain, tout le monde a disparu, les rues se sont vidées. On se croirait dans un film américain, c’est difficile de comprendre ce qu’il se passe », nous confie Ahmed, guide touristique.
Il fait partie de la grande majorité des habitants de Wadi Musa qui dépendent entièrement du tourisme. Selon Suleiman Farajat, le Commissaire en Chef de l’Autorité pour le Tourisme de Pétra, c’est le cas de 80% des habitants de la ville. Cela inclue les restaurateurs, mais aussi les hôteliers et les producteurs locaux qui les fournissent. On compte également près de 200 guides touristiques, et les propriétaires de 1 300 ânes et chameaux utilisés pour transporter les quelques touristes réticents à grimper les montagnes escarpées de la cité.

Des mesures gouvernementales qui ne suffisent pas
Le gouvernement jordanien tente d’aider les professionnels touchés. La TVA est ainsi passée de 16% à 8% dans les hôtels et les taxes sur le service ont été divisées par deux dans les restaurants. Le ministre du Tourisme, Majd Shweikeh, a également annoncé la mise en place de prêts avantageux aux hôteliers et restaurateurs du pays à hauteur de 150 millions de dinars jordaniens (JOD) dès le début de la pandémie.
Mais ces mesures sont jugées trop faibles pour compenser les pertes économiques considérables. Les revenus du tourisme se sont effondrés de 81% entre 2019 et 2020. Le président de l’Association des hôtels jordaniens, Abdul Hakim Al-Hindi, n’a pas hésité à dénoncer la faiblesse des mesures gouvernementales dans une conférence de presse. Il a estimé que près de 10 000 travailleurs de l’industrie touristique avaient basculé dans la pauvreté en 2020. À Wadi Musa, nombreux sont ceux qui craignent de ne pas pouvoir payer leur loyer à la fin du mois et se voient contraints de chercher une autre source de revenus. « Je transporte toujours quelques expats installés en Jordanie et mes proches qui travaillent à Amman me soutiennent financièrement », explique Ahmed, chauffeur privé qui vit du transport de touristes dans le sud du pays. « Mais si le pays n’ouvre pas complètement cet été, si les touristes étrangers ne reviennent pas, je serai obligé de chercher un autre emploi, comme beaucoup de gens ».
L’été de la dernière chance pour attirer les touristes
Alors que la Jordanie sort tout juste de sa deuxième vague de contaminations et s’apprête à alléger les mesures restrictives, la priorité est de rouvrir le pays. L’État jordanien prépare la sortie de crise et cherche à tout prix à attirer les touristes internationaux. L’enjeu est de taille : le secteur du tourisme était à l’origine de 15% du PIB du pays en 2019, soit 5,3 milliards de dollars. La saison s’annonce donc comme l’été de la dernière chance pour redresser l’industrie du tourisme et les travailleurs qui en dépendent.
Le gouvernement dévoile peu à peu son plan pour attirer les touristes dès le mois de juin. La stratégie mise en place prévoit tout d’abord l’allègement de la procédure pour venir en Jordanie, avec la suppression de la quarantaine obligatoire depuis le 3 février. Un protocole renforcé sera également établi par le Comité national pour les épidémies afin de contrôler la circulation du virus : les bus pourront fonctionner à 50% de leur capacité, tandis que le taux d’occupation des hôtels pourra atteindre 70%. Tous les établissements et transporteurs sont invités à faire respecter les gestes barrières et imposer les mesures nécessaires aux visiteurs.
Mais le gouvernement mise avant tout sur la création d’une « golden zone » sur le modèle de la stratégie zéro covid pour attirer les touristes internationaux. Si 8% de la population nationale a déjà reçu une dose de vaccin, le ministre des Médias et de la Communication Sakher Dudin a annoncé que la campagne de vaccination sera intensifiée auprès des populations en contact avec les touristes. Ce projet vise tout particulièrement Pétra, le désert de Wadi Rum et la ville balnéaire d’Aqaba — le « triangle d’or » du tourisme jordanien — qui génère près de 75% des revenus touristiques du pays. Les débats sont encore ouverts, il semblerait que les touristes devront également montrer patte blanche et se munir d’une preuve de vaccination pour accéder à ces zones très fréquentées.
Ces mesures sont synonymes d’espoir pour une grande partie de la population de Pétra, lassée d’attendre le retour des touristes. L’accélération des campagnes de vaccination à l’international, la diminution des cas en Jordanie et les efforts du gouvernement semblent enfin offrir des perspectives d’avenir aux habitants de la cité. « Avec un peu de chance », conclue Ahmed, « car ça ne peut plus durer ».