Le Cirque Romanès, unique cirque tsigane d’Europe, est installé à Paris pour quelques mois, comme tous les ans à cette période. Cette année, la troupe partage son dernier spectacle : « Les nomades tracent les chemins du ciel ». Malgré toute la poésie que les artistes mettent dans leurs représentations, ils n’échappent parfois pas à de vives critiques. Pourtant, leur seul tort serait d’être Tsigane, nomade et de promouvoir leur culture.
Peu après noël, le 26 décembre, les gens s’engouffrent dans le petit chapiteau rouge du square Parodi, en bordure du XVIème arrondissement de Paris. La troupe des Romanès, cirque tsigane, a posé ses valises et ses petites caravanes porte Maillot. Depuis octobre, les spectacles s’enchaînent. Ils s’y poursuivront jusqu’en mai 2018, avant que les Romanès ne retournent parcourir la France. Dans l’entrée, une odeur de vin chaud se propage, ce dernier est offert généreusement à ceux qui passent la porte. Sur la droite, vissées au sommet d’un chandelier, une dizaine de bougies brûlent sur un monticule de cire. Des chats vaguent parmi les premiers installés. Petit à petit, les spectateurs prennent place dans les gradins rouges, suivant le joyeux son de la musique tsigane. La voie de Délia Romanès s’infiltre dans toutes les paires d’oreilles. Derrière le rideau bariolé, la troupe se prépare. « Les nomades tracent les chemins du ciel », leur dernier spectacle, va commencer. Les artistes entrent en piste. Le décor est planté.
« Beaucoup de joie et de simplicité »
Mariola, Claire et Marilyne sont venues pour la première fois sous le petit chapiteau rouge du square Parodi. Elles ne sont pas déçues. Le cirque Romanès, c’est pour elles trois beaucoup de joie et de simplicité. « Sur un plan humain ce spectacle est magnifique » déclare Maryline, qui vient elle même du monde du cirque. Mariola poursuit, « ce n’est pas tant la performance qui compte mais plutôt la poésie qu’il y a dedans ». Dans le spectacle des Romanès, la musique a un rôle important, interprète Claire. « Elle apporte vraiment quelque chose en plus, les musiciens font partie intégrante de la représentation, ce n’est pas toujours le cas dans les cirques ».
Les musiciens installés sur leurs chaises jouent sans répit tandis que les longues robes traditionnelles s’agitent sur la piste. L’élan de la danse les fait se soulever et se gonfler d’air. Les numéros défilent. Une funambule s’aventure méticuleusement sur son fil. Elle pivote et virevolte, s’accroupit puis se relève, toujours aussi légèrement. Concentrée, la musique l’accompagne. Tous les yeux du cirque sont centrés sur elle. La danseuse sur la corde, c’est Betty. Le cirque Romanès, elle le connaît bien, elle en fait partie depuis plus de 20 ans. Elle plie légèrement les genoux. Sur un élan, elle saute habilement et retombe sur son fil, comme un chat retomberait sur ses pattes.
Les arts du cirque ne sont pas spécifiques à la culture tsigane. Néanmoins les Romanès en ont fait leur spécificité. Il est l’unique cirque tsigane d’Europe. Délia et Alexandre Romanès en sont les fondateurs. À eux deux, ils articulent la tribu de circassiens, qui peut aller d’une quinzaine à une trentaine d’artistes, en fonction des périodes. Si la petite troupe ravit nombre de ses spectateurs, ils ne sont pas appréciés de tous dans le XVIème arrondissement et ont failli être délogés plusieurs fois.
« C’est le mot tsigane qui dérange »
Le petit cirque a été attaqué par une quinzaine d’associations et organismes depuis son implantation à Paris, il y a des années. Il a subi des vols, des dégradations et des procès. Beaucoup se sont plaints. La discrimination est toujours bien présente vis à vis de la communauté tsigane, et plus généralement des minorités. Pourtant, Alexandre explique que le cirque n’a pas de fondations, il n’y a donc pas de réelle construction. De plus, la troupe n’est pas là toute l’année, seulement durant l’hiver. Par conséquent, ils ne devraient déranger personne. « Nous sommes un cirque sans animaux » rajoute-t-il, contrairement aux cirques venus ici avant eux et qui n’ont pas eu de problèmes.
Une légende raconte même que les chats du quartier auraient été mangés par les membres du cirque. Drôle et absurde rumeur autour de laquelle Alexandre Romanès répond avec humour. Il vient d’une famille de circassiens, et a un jour eu envie de créer son propre cirque, plus petit, où la culture tsigane serait promue. Finalement, il conclut que « c’est le mot Tsigane qui dérange ». Pour lui, être Tsigane, c’est d’abord être en dehors de tout. « La réussite sociale n’a pas de sens ». La troupe de cirque, c’est comme une tribu. Alexandre poursuit en expliquant que le peuple gitan est une société matriarcale où les femmes ont du pouvoir.
Sa fille, Rose, a 17 ans. Depuis toute petite, elle est baignée dans le monde du cirque. Seule sur la piste, elle tournoie et fait danser sa robe colorée jusqu’à étourdir l’assistance. Sous la lumière rouge, sa danse envoûtante hypnotiserait presque. Aux gens qui ont des préjugés sur les Tsiganes, elle voudrait tout simplement leur dire de venir voir leur spectacle, peut-être changeraient-ils d’avis… qui sait ?