INTERVIEW. Dans un contexte politique troublé par les grèves nationales, les 15 et 22 mars prochains se tiendront les élections municipales. D’après un sondage réalisé par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) en janvier 2019, le conseil municipal est l’institution politique en laquelle les français ont le plus confiance (avec 54%, contre 23% pour le Président). Les maires de France semblent échapper à la défiance des citoyens envers leurs élus, à l’image d’Arnaud Péricard, maire de Saint-Germain-en-Laye. Candidat à sa réélection depuis le 22 janvier, ce maire de centre-droit – bien qu’il ne soit encarté dans aucun parti – nous a confié sa vision du métier, son parcours et ses aspirations.
WorldZine : En parallèle à votre formation d’avocat, votre engagement politique se concrétise en 2008 lorsque vous êtes élu conseiller municipal de Saint-Germain-en-Laye. En 2014, vous êtes nommé maire-adjoint chargé de la Culture, avant de devenir maire de la ville suite au décès de votre prédécesseur Emmanuel Lamy en juin 2017. Vous avez été propulsé sur le devant de la scène dans des circonstances difficiles. Vous sentiez-vous légitime pour mener à bien cette mission ?
Arnaud Péricard : Il faut savoir que dans mon histoire personnelle et familiale, cette situation était déjà arrivée. Mon père [Michel Péricard] était maire de Saint-Germain pendant longtemps, et il était lui-même décédé en fonction. Monsieur Lamy avait pris sa place en 1999, donc j’avais déjà vécu ces circonstances par procuration à l’époque. Ces situations sont malheureusement de plus en plus fréquentes. Avant le décès de Monsieur Lamy, nous avions été frappés par une autre tragédie, car notre conseiller départemental et maire adjoint aux Sports, Philippe Pivert, était décédé d’un cancer.
Quant à la légitimité, elle émane d’un processus démocratique. Le conseil municipal s’est réuni. Une primaire s’est tenue au sein de notre groupe majoritaire. J’ai été désigné avec environ les deux tiers de voix de tous nos élus dès le premier tour, puis j’ai été élu grâce à un vote très largement supérieur à ma majorité. Suite à la fusion de Saint-Germain avec Fourqueux, le vote de la commune nouvelle en janvier a scellé cette assise. Alors que mon groupe ne comptait que 52 élus sur 70, j’ai été élu avec 60 voix sur 70. Je pense avoir su élargir cette majorité politique.
Quand on est avocat, on change de sujet toutes les demi-heures. Quand on est maire, on change de sujet tous les quarts d’heure.
Comment avez-vous vécu cette transition brutale ?
Tout est arrivé très vite. Pendant six mois, j’ai fait le « sous-marin ». Avant, j’étais à la Culture, donc j’ai dû apprendre à gérer de nouvelles thématiques comme l’eau, l’assainissement, le gaz, le parking. Quand on est avocat, on change de sujet toutes les demi-heures. Quand on est maire, on change de sujet tous les quarts d’heure. J’étais en stage accéléré et je pense pouvoir affirmer qu’au bout de deux ans, je suis bien plus à l’aise sur l’ensemble de ces sujets.
La politique a-t-elle été une vocation pour vous qui avez baigné dedans ? Est-ce une forme d’hommage que vous rendez à votre père, élu maire de Saint-Germain en 1977 ?
Ce n’est pas une forme d’hommage. Je pense que les choses viennent naturellement. Mon père avait développé très tôt un amour profond pour cette ville, qu’il avait vu marquée par la scission entre le Nord et le Sud après la guerre. Il s’était fortement engagé, en créant notamment la Maison des jeunes et de la culture. Je pense que c’est venu pour moi un peu plus tardivement. L’amour et la passion que je porte à cette ville n’ont eu de cesse de se développer depuis une quinzaine d’années. Mon père et moi sommes très différents dans notre approche. Il était journaliste, je suis avocat. J’ai une autre manière de faire. Je suis peut-être plus rond et plus dans le compromis qu’il ne l’était. Il avait un caractère entier, fort, qui sied à beaucoup de personnalités politiques de cette époque. Ce n’est pas tout à fait mon tempérament. J’essaie d’adopter une approche plus moderne, plus détendue. Je suis un maire de centre-droit, assez libéral, très pro-européen. Je fais souvent l’éloge de la modération. J’ai toujours estimé que je n’étais pas un homme politique, mais simplement un avocat qui faisait de la politique locale. Mon métier d’avocat m’aide beaucoup dans cette mission d’intérêt général.
Espérez-vous briguer un second mandat à l’issue des élections municipales de mars 2020 ?
Ces élections sont un véritable rendez-vous démocratique. La vérité des urnes est importante pour légitimer un mandat et une action. Je veux déjà dire à tous les Saint-Germanois, les yeux dans les yeux : « Nous avons fait le boulot. Vous nous avez élus et nous avons travaillé jusqu’au bout ». Le budget 2020 est voté, les grands projets sont mis sur orbite. Je pense que nous sommes utiles, et nous le faisons avec un état d’esprit, avec de la bienveillance, de la tolérance, de la modération. Évidemment, j’aimerais continuer si les Saint-Germanois m’accordent à nouveau leur confiance.
Être maire, cela signifie-t-il avoir le pouvoir de s’engager pour la protection de l’environnement ?
Aujourd’hui, on parle beaucoup du développement durable. Il y a ceux qui en parlent et il y a ceux qui font au quotidien, comme les maires. Nous sommes les premiers acteurs et contributeurs du développement durable en France. C’est une thématique qui me tient à coeur. Le combat de ma famille, de ma vie, c’est la protection de la forêt de Saint-Germain. Elle vient d’être classée en forêt de protection par un décret du ministre. J’ai lancé beaucoup d’initiatives contre les déchets sauvages, contre les pollutions, pour l’accessibilité de la forêt pour tous, y compris les fauteuils roulants.
Le réseau social, c’est utile pour partager l’information. Mais pour s’occuper des gens, il faut les voir et aller sur le terrain, à leur contact.
Pensez-vous avoir un rôle à jouer pour minimiser la défiance des citoyens envers leurs élus ? Quelle est votre perception du statut de maire ?
Je pense que le maire représente l’échelon de proximité. Le Président du Sénat (Gérard Larcher, NDLR) a justement déclaré que la commune est « la petite République dans la grande République ». Les administrés ont l’habitude de demander l’avis du maire sur tout et n’importe quoi, c’est typiquement français. L’autre jour, j’étais dans un café et un Saint-Germanois est venu me voir en me disant « Monsieur le maire, je n’ai pas d’eau chaude ». Je ne suis pas plombier, mais je vois bien que les citoyens veulent des réponses. Ils veulent qu’on les écoute, qu’on s’occupe d’eux. Et souvent, ils préfèrent qu’on leur avoue ne pas avoir la réponse. Ce n’est pas grave. Je les ai entendus, je vais faire ce que je peux. On aura eu ce temps d’écoute qui est important. Ceci en dit long sur la distanciation du lien entre les administrés, les administrations et les élus. Il faut faire écho à ce besoin d’écoute. Le réseau social, c’est utile pour partager l’information. Mais pour s’occuper des gens, il faut les voir et aller sur le terrain, à leur contact.
Vous êtes très actif sur Facebook, avec une dizaine de publications par jour en moyenne. Considérez-vous les réseaux sociaux comme un outil de communication politique ?
J’estime que les réseaux sociaux sont essentiels pour répondre à la désintermédiation digitale. Avant, pour que les citoyens interpellent les élus, il y avait les conseils de quartier. Maintenant, quand les gens expriment leur mécontentement ou leurs interrogations, la question se règle en 30 secondes sur Facebook. J’informe les Saint-Germanois sur trois pages : celle de la ville, celle de maire et sur mon compte personnel. Les citoyens sont dans l’instantanéité et il faut être à proximité. Pendant les jours de grèves, on poste et on donne des informations pratiques aux habitants. C’est un moyen de les toucher.
Comment conciliez-vous cette fonction de maire avec votre vie personnelle, familiale, sportive, associative ?
Être maire est un réel plaisir. Le quotidien est enrichissant, fait de belles rencontres. Mais c’est aussi des difficultés à gérer, des sacrifices. Finalement, c’est très semblable à mon métier d’avocat : je passe ma vie à régler des problèmes pour les autres. Ce qui est plus compliqué, c’est que parfois, notre propre vie familiale peut en pâtir. Il faut être transparent, on passe beaucoup de temps à régler les problèmes des autres, et peut-être qu’on n’en consacre pas suffisamment à sa propre famille. Pour que les enfants le comprennent, il faut leur expliquer. J’ai moi-même vécu cette situation avec deux parents élus et impliqués, ce qui me permet d’avoir ce dialogue avec mes propres enfants. J’essaie de leur faire prendre conscience que j’ai vécu ce qu’ils vivent : le regard des autres, l’impression d’être observé, surtout dans une petite ville. C’est pourquoi je pense que la politique à l’échelon local est un passage d’une vie. Il est très fort, très intense, mais ça ne doit pas résumer toute une existence. Il faut apprendre à faire de la place aux autres, pour que d’autres énergies prennent le relais. Il faut aussi accepter de passer le témoin.
En 2014, Sciences Po ouvre ses portes à Saint-Germain-en-Laye. Depuis deux ans, vous y enseignez les « Enjeux juridiques de la création » aux côtés de votre neveu. Quel regard portez vous sur la vie étudiante au sein de la ville ?
Je pense que nous avons énormément à apprendre de cet univers. J’ai une fille qui étudie le droit en Angleterre, j’apprends aussi avec elle. Je suis moi-même passé par Sciences Po Paris. Pourtant je constate que les étudiants, leurs attentes et la manière d’enseigner ne sont plus les mêmes aujourd’hui. C’est une chance incroyable pour Saint-Germain que d’avoir l’institution Sciences Po. On souhaite que les étudiants s’imprègnent le plus possible de l’esprit de notre ville. On sera toujours derrière eux et on mettra des moyens. Avec 2 500 étudiants et 23 000 écoliers/élèves/lycéens pour 48 000 habitants, Saint-Germain-en-Laye compte le ratio élèves/habitants le plus important d’Europe.
L’éducation, c’est notre priorité municipale numéro un. Aujourd’hui, l’académie de Versailles nous voit comme un hub d’expérimentation pédagogique, y compris dans sa dimension internationale. Notre municipalité mise beaucoup là-dessus. On ne le fait pas pour développer des filières d’excellence, mais parce qu’on estime qu’en élevant le niveau général, on va permettre à ceux qui sont en bas de progresser. Je pense que Sciences Po a métamorphosé notre ville dans l’engagement des jeunes, qu’il soit sportif, associatif et à tous niveaux. C’est une vraie richesse pour un territoire.
Arnaud Péricard à Sciences Po Saint-Germain, aux côtés de
la directrice de l’école Céline Braconnier et
du président du conseil départemental des Yvelines,
Pierre Bédier © Nicolas DUPREY/CD 78
Considérez-vous qu’il existe un dynamisme culturel propre à Saint-Germain-en-Laye ?
Indéniablement. Quand j’ai été nommé à la Culture, mon premier défi était de travailler sur le socle de cette culture traditionnelle, historique, royale et de la faire évoluer vers d’autres esthétiques culturelles. Ici, le consommateur de culture est parfois exigeant. Il faut aller le chercher dans la rue, sur la photo, sur les expositions, sur le street art, sur une programmation théâtrale plus moderne, sur une culture peut être plus « rock’n’roll » que ce que l’on a pu avoir dans le passé. L’équipe municipale s’emploie à diversifier les supports et à proposer encore plus d’évènements. Maintenant, à chaque début d’été, nous accueillons Opéra en plein air dans le parc du château. Pour moi, Saint-Germain est un « incubateur culturel » qui dispose d’énormément de jeunes talents. Je pense qu’on peut aller encore plus loin.
Vous avez participé en 2017 au lancement du mouvement La France Audacieuse mené par le maire de Nice Christian Estrosi (LR). L’année dernière, les fondateurs ont été reçus à Saint-Germain-en-Laye. Vous avez été nommé porte-parole du mouvement. Quelles aspirations politiques affiche ce mouvement et quel est son bilan après deux ans d’existence ?
La France Audacieuse est un mouvement de maires et d’élus locaux de centre-droit. C’est mon affinité politique. Le mouvement réunit des maires encartés dans un parti politique comme Christian Estrosi (LR), Jean-Luc Moudenc (maire de Toulouse, LR) ou Arnaud Robinet (maire de Reims, LR) et d’autres qui ne le sont pas, ce qui est mon cas depuis quatre ans. Je respecte l’indépendance politique de chacun et je considère que ce mouvement est non-aligné et indépendant de toutes les formations politiques. C’est cette indépendance qui le caractérise, c’est son ADN. Je pense que c’est bien d’avoir une petite formation comme celle-ci, modeste mais qui, de temps en temps, sur des questions d’organisation locale, peut avoir voix au chapitre. On verra après mars ce qu’on en fait.
La grève nationale a débuté le 5 décembre 2019 pour protester contre la réforme des retraites. Estimez-vous que ce mouvement social est légitime ?
J’avais 24 ans en 1995, lors des grèves contre le plan Juppé. Je me souviens des camions militaires qui étaient là pour emmener les gens au boulot. Ça avait duré trois semaines. Je me souviens de ça et je me dis que 25 ans après, on en est encore là. Il y a un moment où il faut régler les problèmes. La retraite est un vrai problème, qui reste en l’état faute de décisions courageuses, faute de réformes précédentes. Il faut faire quelque chose. Est-ce la bonne réforme ou non ? Je ne sais pas. De toutes les manières, on aura des clauses de rendez-vous dans quelques années pour s’en rendre compte et pour savoir si financièrement, c’était la bonne approche.
En tant qu’avocat, je cotise à la Caisse nationale des barreaux français, qui est excédentaire et qui va devoir reverser ses excédents dans cette caisse générale. Évidemment, beaucoup d’avocats font grève mais pour moi, ce n’est pas un problème. Si c’est ma contribution à un système plus juste, plus équilibré et plus pérenne, s’il permet à nos générations et les suivantes de pouvoir bénéficier d’une retraite décente, je l’accepte. Je pense que les jeunes ont acté qu’ils allaient devoir trouver d’autres alternatives pour avoir droit à leur retraite. Pour moi, ce mouvement n’est pas justifié. C’est un mouvement de contestation et le droit de grève existe, je ne remets pas ça en cause. Le service minimum dans les transports fait débat. Mais c’est compliqué parce que je vois ce que ça implique ici. Nous sommes obligés de mettre en place des systèmes d’accueil. Les citoyens qui n’ont pas de voiture et qui sont dépendants des transports ne peuvent pas aller travailler et vont avoir des retenues sur salaire. Je me dis que ce n’est pas juste.
Servir et être utile à ma ville, à mon pays, je le fais déjà en tant que maire.
Le 11 décembre 2018, vous étiez invité sur le plateau de TV5Monde pour parler des gilets jaunes. Vous avez déclaré souhaiter qu’Emmanuel Macron « descende sur le terrain […] et que le gouvernement aille plus au contact des élus. » Un an plus tard, trouvez-vous que le mandat a été rendu « plus humain » ou qu’il est toujours « hors-sol » ?
J’ai la chance d’avoir un lien de proximité avec Edouard Philippe et avec Emmanuel Macron. Ça peut nous arriver d’échanger de temps en temps. Je pense qu’ils ont beaucoup fait. Je pense que le Président a compris le grand débat, en témoigne la manière dont il est retourné au contact des citoyens. Ça ne va pas encore assez loin, mais je pense que depuis un an, il a pris conscience de tout ça. J’étais présent le 19 novembre 2019 au congrès des maires de France, Porte de Versailles. Le Président avait déclaré : « sans vous [les maires] rien n’est possible. » Emmanuel Macron a compris qu’il pouvait s’appuyer sur les maires, qui sont des relais républicains importants. Mais je pense qu’il faut rééquilibrer les choses. Un tas de personnes contribuent à faire de la France un beau pays : les autres élus, les corps intermédiaires, le secteur associatif, etc.
Avez-vous en tête d’accéder un jour à l’Élysée ?
Je ne pense pas que ma trajectoire me mène vers les élections présidentielles. Servir et être utile à ma ville, à mon pays, je le fais déjà en tant que maire.