Et si le vote aux élections était remplacé par un simple clic sur un smartphone ? Le taux d’abstention record des élections régionales de juin 2021 (66,0% au premier tour) a une nouvelle fois questionné l’intérêt des Français pour le vote. Si bien que le 7 octobre dernier, le gouvernement a lancé une consultation citoyenne en ligne sur l’abstention et la participation électorale en vue de la présidentielle.
Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, avait alors réagi favorablement à un vote électronique. Derrière cette proposition, une technologie pourrait bien tirer son épingle du jeu pour la numérisation de nos modes de scrutin à l’avenir, sans pour autant convaincre les juristes pour le moment : la blockchain.
« Certains pourraient douter du vote »
Le vote en ligne, une réponse à l’abstention ? C’est en effet l’opinion de Nicolas Brait, cofondateur de Civic-Power, une plateforme de vote en ligne : « Nous sommes une génération du smartphone, tout se passe dessus et proposer un service de vote en ligne, sécurisé serait le premier moyen de combattre l’abstention. » Encore en développement, son entreprise a déjà proposé un vote rassemblant 20 000 votants de l’association Time For the Planet en juin 2021 et a mis en place une application de vote en ligne.
Reste une question : ce système peut-il s’adapter à un vote national ? « Le vote électronique existe déjà pour les Français qui vivent à l’étranger mais seulement pour certaines élections, le principal frein à l’extension du vote en ligne aux élections plus importantes réside dans une question d’usage », assure Nicolas Brait. Depuis 2014, les Français expatriés à l’étranger peuvent voter par Internet, mais seulement aux élections législatives et consulaires. Mais l’élargissement du vote en ligne est source de débat : il serait un danger pour le respect du secret du vote, soumis aux failles technologiques et renforcerait les inégalités.
Maître de conférences en droit public à l’Université de Lille, Gilles Toulemonde reste sceptique quant au vote en ligne pour les élections nationales. « Si on numérise le vote, certains pourraient douter de la prise en compte de leur voie ». Savoir son vote secret, à l’abri des regards dans l’isoloir, puis voir et entendre le bulletin pris en compte dans l’urne procure une certitude physique qui est moins évidente numériquement. D’ailleurs, le juriste constitutionnaliste ne manque pas de rappeler un argument récurrent au débat : « La technologie est soumise aux bugs et aux hackers, ce qui est moins le cas d’un vote physique ».
La blockchain pour sécuriser
Thierry Arnaly est cofondateur d’Authentic Blockchain, une entreprise qui propose un service d’ancrage de documents juridiques dans une blockchain. Enthousiaste face à ce qu’il appelle la « nouvelle révolution du numérique », l’entrepreneur explique tout l’intérêt de la technologie blockchain : « C’est une sorte de grand registre partagé dans lequel on ancre des blocs d’informations qui sont rendus infalsifiables et inviolables par un processus de chiffrage et bien moins vulnérable aux cyber-attaques. Car la blockchain est partagée sur tous les serveurs des membres (appelés mineurs, ndlr) et non pas sur un serveur centralisé. »
Mais dès lors que le registre est partagé qu’en est-il du secret du vote ? « On ancre dans la blockchain les « logs » du votant, c’est-à-dire, nom, prénom, date et heure du vote. Mais le contenu du vote n’est pas accessible ni stocké dans la blockchain, il est chiffré et n’apparait que sous une empreinte numérique (suite de chiffres et lettres, ndlr). On assure juste au citoyen que son vote a bien été pris en compte », détaille Nicolas Brait.
Certains détracteurs du vote par blockchain alertent sur un possible problème d’adaptation des personnes âgées ou maitrisant mal les outils numériques, qui pourraient potentiellement voter sous influence de leur « e-tuteurs ». Ce n’est pas l’avis de Nicolas Brait : « Aujourd’hui, ces personnes doivent déjà payer leurs impôts en ligne, rétorque-t-il. Le principal frein au vote en ligne relève de la défiance des Français envers tout ce qui est initié par l’État. » Selon lui, certains Français verraient, à tort, dans la potentielle plateforme de vote en ligne une nouvelle forme de pistage numérique.
Cette défiance n’est pas le cœur du sujet pour Gilles Toulemonde : « L’abstention aux élections révèle surtout une crise de la confiance des citoyens envers leurs gouvernants et je ne suis pas sûr que la possibilité de voter en ligne répare vraiment défiance. » Pour le constitutionnaliste, le problème de l’abstention est bien plus structurel et ne pourrait se résumer à de simples modalités pratiques : « Dans l’idéal il faudrait déjà développer la participation citoyenne. »