WorldZine : L’écologie réformiste de Yannick Jadot s’est opposée à l’écoféminisme de Sandrine Rousseau, qui s’est qualifiée au second tour lors de la primaire écologiste. Comment expliquez-vous l’intérêt pour la radicalité pendant cette campagne ?
Noël Mamère. La radicalité est un des ADN de l’écologie depuis qu’elle existe. Sandrine Rousseau n’est pas une surprise pour un écologiste qui regarde la société. Elle est en phase avec toute une génération qui a entre 20 et 30 ans et qui a intégré d’une manière forte la question de l’urgence. Nicolas Hulot le disait lorsqu’il a quitté le gouvernement : les petits pas nous mènent dans le mur. Il faut donc mettre en place des mesures plus radicales contre les effets du dérèglement climatique. Cette génération ne se contente pas de marcher pour le climat, elle est concernée par les inégalités, les injustices et par le féminisme. Nous avons pu voir pendant les manifestations pour le climat des pancartes de femmes qui se considéraient comme des éco-féministes. Nous assistons au passage de l’invisibilité à la visibilité d’une génération radicale qui considère que le statu quo ne peut que mener dans le mur.
Yannick Jadot sera-t-il contraint de faire la synthèse avec une partie du programme de Sandrine Rousseau pour éviter une fuite des électeurs écologistes vers Jean-Luc Mélenchon ?
Je ne sais pas si la génération que je viens de vous décrire est séduite par Jean-Luc Mélenchon. Elle se retrouve plutôt dans le projet de société que défendent les écologistes. La question n’est pas de savoir comment on pourrait éviter une hémorragie vers le candidat de la France insoumise, mais quel projet de société portera Yannick Jadot : un projet d’accompagnement ou de transformation. Vu l’étroitesse de sa victoire, il ne peut pas mener campagne sans intégrer un certain nombre de questions posées par Sandrine Rousseau. Tout accord de primaire doit se résoudre à la fin par un compromis. Sandrine Rousseau a perdu la primaire, mais elle a gagné sur les idées. L’écologie est aujourd’hui considérée comme l’outil principal de lutte contre le dérèglement climatique et les inégalités qu’il provoque.
Il y a huit candidats déclarés à gauche. La gauche va-t-elle subir le même éclatement des voix qu’en 2002 lorsque vous étiez candidat, empêchant donc une qualification au second tour ?
Je ne peux pas vous le dire. Ce que je sais, c’est que la transformation de la société se fera autour des questions écologiques, sinon ce sera suicidaire. La locomotive de la gauche, ce sont les écologistes. À partir d’aujourd’hui commence une campagne, il faut que se crée une dynamique. C’est à Yannick de la créer, de l’entretenir et la faire prospérer.
En Allemagne, les élections générales ont davantage été marquées par la thématique écologique que par l’immigration. Scénario impossible en France ?
Tout le contraire se dessine en France. Il ne se passe pas un jour sans que l’on évoque les dernières provocations d’Eric Zemmour ou sans que les candidats de droite ne reviennent sur les questions d’identité et d’immigration. Madame Le Pen à l’extrême-droite veut un référendum sur l’immigration et Emmanuel Macron s’en prend à Eric Zemmour comme s’il était au centre de nos préoccupations. Nous sommes à des années-lumière du débat politique qui a eu lieu à l’occasion des élections générales en Allemagne où le mot immigration n’a été prononcé qu’une fois, y compris par l’extrême droite.
Présenter l’écologie comme punitive est caricatural.
En 2015 (pendant la crise des migrants, ndlr), Madame Merkel a été tout à fait à la hauteur : elle n’a pas rejeté les migrants, elle a dit qu’ils étaient une chance pour l’Allemagne. Les politiques n’ont pas sombré dans des débats indignes. C’est bien la preuve que nous éprouvons dans notre pays une certaine fatigue politique. Le débat reste largement en dessous de la ceinture.
Tous les candidats à la présidentielle se revendiquent écologistes. L’écologie de droite est donc possible ?
Non. L’écologie est transversale, mais elle ne peut pas habiter avec ceux qui défendent le système néolibéral et capitaliste qui nous mène dans le mur. L’écologie est indissolublement liée aux questions sociales. C’est donc tout le contraire de ce que défend la droite qui est conservatrice par nature. Leur débat sur l’écologie est totalement artificiel.
Les Français subissent déjà une hausse de leurs dépenses contraintes avec le gaz et les carburants. Comment les convaincre que l’écologie au pouvoir ne sera pas incompatible avec leur porte-monnaie ?
L’écologie n’est pas du tout incompatible avec le porte-monnaie. Pour le prix du gaz et de l’essence, cela fait 40 ans que les écologistes expliquent que les ressources en énergie se feront de plus en plus rares. Il faut revoir la question des mobilités. Le mouvement écologiste ne propose pas des taxes, mais d’améliorer la vie des gens et avoir moins à soigner de maladies pulmonaires et donc de dépenser moins d’argent dans les soins qu’on leur apporte. C’est une caricature de présenter l’écologie comme punitive. Présenter l’écologie comme punitive est caricatural.
Le décret légalisant la PMA pour les couples de femmes vient d’être signé le 30 septembre, cette promesse date pourtant de la campagne de François Hollande. Pourquoi si tard ?
Par rapport à d’autres pays, la France a des politiques qui ont peur de leur ombre. Regardez les débats qui ont lieu sur le mariage pour tous. L’Église catholique a une influence beaucoup plus grande en Espagne qu’en France, mais elle n’a pas vécu autant de drames et de contestations. C’est pareil pour le droit à mourir dans la dignité et le suicide assisté qui existe déjà dans d’autres pays et qu’on ne parvient pas à mettre en œuvre chez nous. Nos députés et sénateurs, sous la pression de la droite ex-filloniste et de Sens commun, n’osent pas bouger le petit doigt.
Quel rôle jouerez-vous pendant cette campagne ?
Je ne sais pas, je serai à disposition si on me le demande. Mais peut-être que vous ne me verrez pas parce qu’on ne me donnera rien. Je ne frapperai pas à la porte. J’ai renoncé à tous mes mandats électifs en 2017, donc je reste un observateur participant qui s’intéresse. Pendant toute ma vie politique, ma liberté de parole a été ma richesse. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais y renoncer.