INTERVIEW. Nathalie de Noblet-Ducoudré est directrice de recherche au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement du CEA et, plus récemment, Chevalier dans l’ordre national de la légion d’honneur. Elle a contribué à la rédaction du rapport spécial du Giec (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) sur le changement climatique et l’utilisation des terres. Nous sommes allés à sa rencontre pour en comprendre la nature et les principaux enseignements.
WorldZine : Ce rapport spécial du Giec traite des relations entre l’utilisation des terres et le changement climatique. Quelles sont-elles ?
Nathalie de Noblet-Ducoudré : C’est le premier rapport du Giec qui s’intéresse à nos lieux de vie. Il est issu d’un travail pluridisciplinaire et met en évidence le fait que les aléas du climat ne sont pas seuls responsables de l’évolution des surfaces terrestres. La pression exercée par les activités humaines joue un rôle prépondérant. La désertification, l’insécurité alimentaire, ne sont donc pas inéluctables.
Pour moi, c’est l’un des rapports du Giec les plus positifs car il propose de nombreuses solutions pour lutter contre la dégradation des terres et pour atténuer le changement climatique. Ces solutions existent, nous n’avons aucun défi technologique à surmonter. Pour qu’elles soient efficaces, il faut un déploiement à grande échelle, qui n’aura pas lieu sans l’action coordonnée de l’ensemble de la société. En cela, je dirais que ce rapport est autant un bilan politico-sociétal qu’un bilan scientifique, mais ça n’engage que moi.
Quels sont les principaux enseignements de ce rapport ?
Ils sont très divers, mais quelques-uns sortent du lot comme les chiffres révélant l’ampleur du gaspillage alimentaire et la proportion des terres dégradées. Ces constats sont maintenant établis, quantifiés, et le rapport montre que nous avons les solutions pour y remédier.
Il n’y a pas de scoop, mais nous avons suscité l’engouement en présentant l’esquisse d’une stratégie globale de réduction des émissions de CO2 reposant essentiellement sur la gestion de nos ressources terrestres. Les grandes lignes de conduites qui en émanent consistent à garder un sol toujours couvert, une végétation adaptée à son environnement, et à encourager une transition des méthodes agricoles privilégiant la diversité des écosystèmes aux monocultures. La presse a également largement commenté le potentiel de réduction des émissions lié au changement de nos régimes alimentaires.
Le rapport sur les terres émergées et le changement climatique est le premier à mener des réflexions de fond sur ces thématiques. L’une des principales conclusions est qu’il n’existe pas une unique solution qui fonctionne partout, mais plutôt une multitude de méthodes dont l’efficacité varie en fonction du contexte.
Certains ingénieurs proposent de corriger les pressions anthropiques par des techniques dites de « géo-ingénierie ». L’injection de particules sulfatées dans l’atmosphère pourrait par exemple corriger l’augmentation de température de la surface terrestre. Que pensez-vous de ce type de proposition ?
D’une manière générale, j’ai tendance à me méfier de ce genre de méthodes. Nous avons souvent tendance à vouloir tout maîtriser, à jouer à dieu. Cela pourrait rajouter des problèmes à ceux qui existent déjà, les réactions d’un système aussi complexe que le climat sont difficiles à prévoir.
La voie de la bio-géo-ingénierie me paraît plus raisonnable : en modifiant notre usage des terres, nous sommes en mesure de réduire nos émissions de gaz à effets de serre qui contribuent au réchauffement de la planète. À ce titre, le déploiement de cultures énergétiques incluant capture et stockage ou valorisation du CO2 est une piste intéressante. Il faut toutefois prendre garde à développer ce type de projets sur des échelles spatiales raisonnables pour ne pas entrer en concurrence avec les terres cultivées, les ressources en eau et la biodiversité locale.
En dehors de votre activité au sein du Giec, par quels moyens êtes-vous engagée dans la lutte contre le changement climatique ?
Voilà quelques années que j’ai pris mon bâton de pèlerin pour aller à la rencontre de ceux que le changement climatique concerne directement, notamment les agriculteurs. J’ai donné plusieurs conférences auprès de divers acteurs du monde agricole : des irriguants du Poitou-Charente au consortium sorgho Europe, en passant par les semenciers, les entrepreneurs et autres chambres d’agriculture. Cependant, je fatigue un peu car il est rare que ces échanges aboutissent à de réels changements des pratiques pour la simple raison que mis à part les forestiers et les vignerons, les acteurs du monde agricole n’arrivent pas à travailler avec les climatologues pour anticiper ce qui va leur arriver demain. Mais je ne perds pas espoir !