Les médias, censés être un miroir de la réalité, sous-représentent largement les femmes et véhiculent des stéréotypes d’un autre temps. Malgré de louables initiatives pour changer les choses, l’évolution des pratiques et des mentalités prend du temps, et nécessite une volonté commune des journalistes et de leur direction. Cette question de la représentation des hommes et des femmes dans les médias était au cœur de la Conférence Nationale des Métiers du Journalisme 2018, le 25 janvier à Paris.
« Les médias sont en retard sur l’évolution de la société ». C’est le constat accablant qu’a fait Pascale Colisson, responsable pédagogique de l’Institut public de journalisme, le 25 janvier lors de la Conférence nationale des métiers du journalisme sur le thème « Femmes, hommes, modes d’emploi dans les médias ».
En effet, les femmes sont largement sous-représentées dans les contenus médiatiques. Dans son dernier rapport, le Conseil supérieur de l’audiovisuel dévoile le chiffre suivant : les femmes ne représentaient que 40% des personnes à l’antenne en 2017. Au niveau mondial, selon une étude réalisée sur 114 pays, elles représentent seulement 24% des nouvelles, tous médias confondus. Un chiffre qui stagne depuis 2010. Et lorsqu’il y a médiatisation des femmes, « Elle est très stéréotypée », affirme Sandy Montanola, enseignante-chercheuse et responsable du Diplôme universitaire de technologie de journalisme à Lannion. « Les femmes sont souvent représentées comme passives, on les interroge sur la famille, les enfants, et il y a souvent mention de leur apparence physique, de leur âge, de leur situation familiale ».
Les femmes sont également peu visibles en tant qu’expertes (30%). « La parole d’autorité et de compétences reste un monopole masculin, cela envoie un très mauvais signal », regrette Marlène Coulomb-Gully, chercheuse sur les représentations du genre dans les médias.
Les médias, des technologies de genre
Cette façon de médiatiser les femmes pose un problème majeur, car comme le disait le philosophe Michel Foucault, « Les médias sont des technologies de pouvoir ». Ils ont la capacité de définir les normes, car ils jouent un rôle capital dans la formation des perceptions, des opinions et des comportements.
En sous-représentant les femmes, « Ils sont un prisme déformant de la réalité puisque plus de la moitié de la population française est féminine », constate Pascale Colisson. Et en assignant la femme à des rôles de mère de famille ou de séductrice, ou encore en l’associant à des métiers dits « féminins », ils renforcent les stéréotypes sexistes classiques et envoient le dangereux message que ces rôles sociaux sont la norme. Les médias, au lieu d’user de leur pouvoir pour faire avancer la cause en reflétant la réalité de la population dans toute sa diversité, construisent et perpétuent les discriminations fondées sur le sexe.
De lentes mais réelles avancées
Les chiffres fournis chaque année par le CSA depuis 2015 sont en lente progression. Il y a depuis quelques temps une prise de conscience de la part de certains professionnels du milieu journalistique. Des actions se mettent en place pour remédier à ces inégalités.
Dans le groupe TF1-LCI, par exemple, il y a seulement 34% de femmes représentées dans les sujets d’information, et 25% d’expertes qui interviennent en plateau. Mais d’après Christelle Chiroux, chef du pôle Spécialistes et chargée de sensibiliser les journalistes du groupe à la question des représentations, « Il y a eu un réel déclic au sein de la rédaction. La plupart des journalistes ne s’en rendaient pas compte. C’est lors de la vague d’attentats que nous nous sommes aperçus que tous nos experts intervenants étaient des hommes ». Le groupe TF1 a ainsi mis en place des ateliers de sensibilisation, durant lesquels des rapports et des études sont présentés aux journalistes, qui sont encouragés à faire leur propre auto-critique. « C’est un combat de tous les jours, il y a bien sûr des résistances, mais ça évolue. Avant, la question du nombre de femmes en plateau ne se posait pas. Le fait qu’aujourd’hui elle se pose montre que les choses avancent », analyse Christelle Chiroux, confiante quant à l’avenir. Du côté du service public, Delphine Ernotte, la présidente de France Télévision, s’est engagée à la parité des expertes en 2020.
Des efforts sont également à noter au sein de l’Agence France Presse, avec la parution du rapport « Les femmes dans la production AFP », en janvier. Le rôle de l’AFP dans la représentation des femmes est en effet essentiel, puisque cette agence est la base de tous les contenus médiatiques, c’est elle qui transmet les informations aux médias qui les réutiliseront ensuite. Pauline Talagrand et Aurélia End, les deux auteures du rapport, sont journalistes au pôle police-sécurité-gendarmerie. Elles sont parties du constat de la difficulté de citer des femmes dans leurs articles, « parfois parce que les femmes peinent à investir les sujets régaliens, mais surtout parce qu’elles pensent à tort ne pas être assez légitimes pour prendre la parole dans les médias », écrivent-elles. L’AFP a accepté et repris une partie des propositions qu’elles ont formulées pour améliorer la représentation des femmes dans les contenus de l’agence, comme l’édition de règles claires en matière de féminisation des titres et des fonctions, et en matière de traitement des violences conjugales. La description physique et la mention de la situation familiale ne devront plus être réservées seulement aux femmes. L’AFP aura également recours à plus d’expertes grâce à la création d’un nouvel annuaire de contact.
Regrouper les contacts d’expertes est une initiative qui avait déjà été prise en 2012 par la journaliste Marie-Françoise Colombani et la créatrice de l’agence de conseil EpOke, Chekeba Hachemi. Toutes deux ont créé le premier guide des expertes, en version papier. France Télévisions, Radio France et le groupe Egalis (groupements d’organisations spécialistes de l’égalité) en ont fait en 2015 une version numérique, sur expertes.fr. Elle recense plus de mille femmes expertes sur deux cents thématiques, afin de faciliter le travail des médias qui souhaitent faire intervenir plus d’expertes, et réduire ainsi les inégalités.
Un contexte propice aux évolutions
L’amélioration de la représentation des femmes dans les médias nécessite cependant la volonté et le soutien des directeurs d’entreprises. « Il faut que la hiérarchie soit réceptive, sinon ça ne peut pas fonctionner », déclare Christelle Chiroux. Mais pour que les directeurs agissent, « il faut aussi que la base, c’est à dire les étudiants, les journalistes, s’emparent de ce sujet là », ajoute Pauline Talagrand. D’où la nécessité que les journalistes soient formés à cette question de l’égalité durant leurs études. Or, comme le prouve une enquête menée par Sandy Montanola, Pascale Colisson et Denis Ruellan sur 14 écoles de journalisme reconnues et 2 non-reconnues, c’est rarement le cas. Seulement 3 de ces écoles ont des cours spécifiquement dédiés à l’égalité homme-femme ou aux stéréotypes.
Les mouvements sociaux sont également un des facteurs majeurs d’évolution. Toutes les initiatives vues précédemment s’inscrivent dans une actualité marquée par l’affaire Weinstein, qui a provoquée une vague de libération de la parole. C’est aujourd’hui toute la société qui semble s’emparer de la question générale de l’égalité hommes-femmes. Un contexte favorable aux combats de celles et ceux qui veulent que les femmes soient mieux représentées dans les médias. Comme le souligne Sylvie Pierre-Brossolette, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, « Il y a un climat propice aujourd’hui pour que les hommes à la tête des médias ne puissent plus refuser que ça bouge. Il y a une caisse de résonance particulière ».
Les pouvoirs du CSA étendus
Plusieurs coups de pouce législatifs ont été donnés ces dernières années pour faire avancer cette cause. La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes confère une nouvelle mission au CSA : celle de « veiller à l’image des femmes dans les médias ». Les 40 principales chaînes de télévision et stations de radio doivent désormais réaliser un décompte de la présence des femmes sur leurs antennes et fournir leurs chiffres au CSA. Malheureusement, l’autorité de régulation de l’audiovisuel ne peut sévir qu’en cas de régression. Elle a ainsi infligé en décembre dernier une amende d’un million d’euros à la chaîne NRJ 12 à cause d’un canular téléphonique dans l’émission C’Cauet, « durant lequel les auteurs ont formulé des commentaires avilissants relatifs au physique d’une femme, ainsi que des insultes et des propos dégradants concernant sa vie intime ».
Une nouvelle compétence a été attribuée au CSA l’année dernière : veiller à l’image des femmes dans la publicité. Enfin, Emmanuel Macron, qui a décrété que l’égalité hommes-femmes serait la « grande cause » de son quinquennat, a annoncé une extension des pouvoirs du CSA sur le domaine numérique. Le Conseil pourra ainsi lutter contre la pornographie, sanctionner les jeux vidéos ou les clips musicaux, « qui sont un puits de stéréotypes », explique Sylvie Pierre-Brossolette, conseillère en charge du droit des femmes au CSA. « La loi est efficace, nous sommes le pays le plus avancé dans ce domaine. Il y a des progrès. »