La Conférence Nationale des Métiers du Journalisme mettait cette année à l’honneur la question de l’égalité hommes-femmes dans les entreprises médiatiques. Malgré une quasi parité, les femmes écopent des statuts les plus précaires, peinent à investir certains sujets et ne parviennent pas à atteindre les plus hauts postes. Une situation qui pèse sur les professionnelles du milieu, et qui a de lourdes conséquences sur la représentation des femmes dans les contenus médiatiques.
S’agissant d’égalité, compter ne suffit pas. La féminisation de la profession journalistique, incontestable – 46% de cartes de presse en 2013, contre 40% en 2000 –, est partielle, et enrayée. « Les chiffres cachent de grosses disparités », explique Sandy Montanola, enseignante-chercheuse et responsable du Diplôme universitaire de technologie de journalisme à Lannion. « Les femmes sont plus nombreuses dans les situations de grande précarité ».
D’après l’étude « Les inégalités hommes – femmes dans l’audiovisuel, au travers des dynamiques de parcours », menée par l’Observatoire des métiers de l’audiovisuel, les femmes représentaient en 2013 56% des journalistes entrants rémunérés à la pige. Elles sont également majoritaires dans les titres de presse dits « féminins », ont moins accès à des rubriques comme le sport, l’économie, la politique et la défense, et sont en moyenne payées 12% de moins que leurs collègues masculins.
Enfin, comme l’atteste une étude réalisée par Marie-Christine Lipani, directrice-adjointe de l’Institut de journalisme Bordeaux-Aquitaine, les femmes n’ont quasiment pas accès aux postes élevés. Sur 377 personnes aux postes de direction de 64 titres de presse quotidienne régionale, seulement 38 sont des femmes. Et plus globalement, sur l’ensemble des supports médiatiques, elles représentent seulement 16% des PDG, et 26% des directrices de rédaction en France. « La féminisation du journalisme n’atteint pas le haut de la hiérarchie. Le genre demeure une donnée déterminante sur la probabilité d’être nommé à un poste important » déplore la chercheuse. Le plafond de verre est encore une réalité bien ancrée dans l’univers des médias.
Des discriminations physiques plus marquées pour les femmes
Les femmes exerçant à la télévision souffrent, en plus du reste, de discriminations liées à leur physique. Comme l’a souligné Marlène Coulomb-Gully, chercheuse à l’université de Toulouse, en citant Anne-Claire Coudray, Anne-Sophie Lapix, ou encore Laurence Ferrari : « Les femmes visibles à la télé doivent correspondre à des exigences de beauté ». Les enquêtes montrent également que les hommes de la télévision sont plus vieux que les femmes. « Il y a pour les femmes une date de péremption médiatique », soupire le sociologue Erik Neveu.
En radio, c’est la question de la voix qui est problématique. Dans les radios généralistes, la présence des femmes s’élève seulement à 38% ; un déséquilibre encore plus marqué qu’à la télévision. Les matinales, rendez-vous le plus important de la journée, sont presque systématiquement confiées à des hommes : Yves Calvi sur RTL, Patrick Cohen sur Europe 1, Jean-Jacques Bourdin sur RMC, Bruce Toussaint sur France Info… Seule Léa Salamé fait exception à la règle, en partageant avec Nicolas Demorand la matinale de France Inter.
Dans la presse écrite, un ras-le-bol collectif
Les femmes journalistes ont profité du mouvement social récent sur la question de l’égalité hommes-femmes pour protester contre l’absence de parité aux postes de direction des médias. Au Parisien, le 12 janvier, 77 femmes ont postulé collectivement au poste de rédacteur en chef, pour dénoncer la composition presque exclusivement masculine de la direction. En effet, sur 13 postes de direction, 12 sont occupés par des hommes. «En quinze ans au Parisien, j’ai dû connaître une femme à la direction de la rédaction », déplore dans Libération l’une des initiatrices du mouvement de fronde.
L’initiative s’est rapidement propagée dans d’autres rédactions de titres de presse. Les journalistes de l’Obs, Ouest-France, Le Progrès ou encore La Provence ont décidé de se mobiliser également. Dans le journal marseillais, « il n’y a aucune femme à la direction, aucune femme à un poste de rédactrice en chef », ont déclaré les journalistes dans un texte public. « Le monde est en train de changer. Nous, les femmes, revendiquons notre droit à être enfin considérées comme l’égal des hommes ! Cela commence au travail et au sein de journaux qui entendent raconter ce monde en mouvement ».
Après les rédactions du @le_Parisien @lobs @laprovence c’est au tour des journalistes femmes de @OuestFrance de dénoncer la confiscation des postes d’encadrement par les hommes !
Communiqué intersyndical :https://t.co/ZqTkI8XydD pic.twitter.com/iFBtYKBCDg
— SNJ (@SNJ_national) 23 janvier 2018
Elsa Freyssenet, journaliste aux Echos, a mené le même combat il y a quelques années dans sa rédaction. Elle et ses collègues sont même allées jusqu’à faire grève pour protester contre l’absence totale de femmes en haut de la hiérarchie. Un mouvement qui est loin d’avoir révolutionné les choses. Aujourd’hui, il y a 12 hommes pour 2 femmes à la direction de la rédaction. « C’est mieux que rien, et il y a eu de réelles avancées sur les augmentations salariales et les primes. Mais depuis peu, on observe un contournement des procédures, des postes pourvus avant même que l’annonce soit publiée… », relate Elsa Freyssenet. « Il n’y a pas eu de prise de conscience de la part de la direction, et nous n’avons pas demandé d’objectifs chiffrés dans le temps, donc ça n’a pas pu fonctionner ».
L’absence de femmes à la tête des entreprises médiatique a de lourdes conséquences éditoriales, notamment sur la représentation des femmes dans les contenus proposés au public. Les stéréotypes sexistes dont les médias nous inondent encore chaque jour sont le résultat de ces inégalités professionnelles et de l’absence de pluralité de regards à la tête des rédactions.
La nécessité de lois
Malgré ces inégalités persistantes, qui sont documentées, « il y a une force d’inertie qui empêche les choses d’avancer », déplore Erik Neveu. Pour lui pas de doutes, « Il faut agir sur la matérialité du monde, pas seulement sur la vision que nous en avons ». Il n’hésite pas à prescrire des lois, et l’utilisation de la contrainte, par exemple « en versant ou non l’aide à la presse en fonction du respect des engagements ».
Une proposition qu’a énoncé la ministre Françoise Nyssen, pour le secteur public. Courant janvier, lors du comité ministériel pour l’égalité entre les hommes et les femmes dans la culture et la communication, la ministre de la Culture a annoncé qu’un objectif d’égalité professionnelle serait fixé aux médias publics, et que le non-respect de ces objectifs pourrait entraîner « des conséquences directes sur les subventions ». Par ailleurs, durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, 100 000 € par an seront consacrés au rattrapage salarial. Mais ces mesures seront-elles suffisamment efficaces pour parvenir enfin à une réelle égalité professionnelle ?